Comprendre

Le stress de la déconcentration au boulot
« Ce n’est pas mon dossier qui me stresse, c’est d’être sans cesse sollicité pour autre chose, j’ai l’impression de ne pas avancer ». Et si ce n’était pas qu’une impression ? Nous avons posé la question à Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche Inserm au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.
Pourquoi zapper d’une tâche à l’autre est contre-productif ?
Jean-Philippe Lachaux : « Pour être efficace, il faut avoir ramené dans sa mémoire de travail, c’est-à-dire ce que l’on a présent à l’esprit, toute une série d’informations qui se trouvent dans la mémoire à long terme. Par exemple, en rédigeant le compte-rendu d’une réunion, il faut se rappeler de son contexte et de ce qui a été dit. Cela prend du temps.
D’une part, cette mémoire de travail, en plus d’être fragile, ne peut contenir à un moment donné qu’une quantité limitée d’informations. Par conséquent, lorsque nous passons d’une activité à une autre, il faut à chaque fois vider en quelque sorte cette mémoire pour la remplir à nouveau avec ce qui concerne la nouvelle tâche. C’est ce que l’on exprime lorsqu’on se dit : « le temps que je m’y mette, ou que je m’y replonge, je ne pourrais pas être efficace ». Il s’agit, en fait, de raviver toutes les données utiles pour cette nouvelle activité.
D’autre part, lorsque le cerveau est efficace pour une tâche, il a tendance à favoriser certains processus cognitifs aux dépens des autres. Par exemple, l’expression langagière n’implique pas les mêmes zones du cerveau que le calcul. Ce phénomène de préchauffe pour se mettre dans les bonnes dispositions, qu’on appelle se concentrer, n’est pas instantané. Un décalage de quelques secondes a été observé lors d’exercices de catégorisation effectués en laboratoire. Cela permet d’imaginer que se replonger dans un devis, après avoir traité ses courriers en urgence, peut prendre 3 ou 4 minutes. »
Comment se concentrer quand on est sans cesse dérangé au bureau ?
J-P.L : « Pour réaliser une tâche, le cerveau doit faire le tri des informations qui lui arrivent et il doit décider de ce qui est important. Normalement, c’est par rapport à l’objectif que l’on se donne. Cependant, si celui-ci n’est pas vraiment clair, le cerveau ne peut pas faire ce tri. On est distrait.
La solution ? Se donner des objectifs raisonnables, ne serait-ce que dix minutes où l’on pourra se consacrer totalement à quelque chose. L’intention doit être suffisamment définie : « pendant tant de temps, je fais cela et je m’interdis de faire autre chose ». La durée dépend de l’environnement dans lequel on est. À certains postes, on ne peut pas se permettre de couper son téléphone, ni de s’isoler de sa messagerie trop longtemps. Dans ce cas, il faut adapter la taille de la tâche à la durée où il est possible de s’y consacrer totalement. Par exemple, « si je n’ai que dix minutes, je réponds aux cinq courriels les plus urgents et je ne fais rien d’autre. En revanche si j’ai deux heures, je peux me consacrer à les traiter tous ».
Comment faire face aux sollicitations au travail ?
J-P.L : « Quand on est très dérangé on ne peut faire que du travail automatique, des choses que l’on connait parfaitement. C’est normal d’être distrait dans un environnement de travail dynamique. Il vaut mieux ne pas se crisper et rechercher des moments et des lieux pour faire un travail qui demande de la concentration. Aussi, je vois de plus en plus de gens qui organisent leur travail hebdomadaire, avec une journée en télétravail qu’ils réservent aux tâches nécessitant de se concentrer longtemps.
Dans l’équipe, on peut se mettre d’accord sur des plages horaires où on a besoin de ne pas être interrompu, s’accorder sur une signalétique plus discrète que le traditionnel écriteau « Ne pas déranger ». Aussi, un casque sur les oreilles est un moyen d’indiquer aux autres qu’on est dans un « truc ».
Surtout, on peut s’apprendre soi-même à ne pas déranger sans cesse les autres. Vérifier que la personne est bien dérangeable au moment où on veut la solliciter. »
Pour aller plus loin avec Jean-Philippe Lachaux
- Le cerveau attentif, contrôle, maîtrise et lâcher-prise
- Les petites bulles de l’attention, Se concentrer dans un monde de distractions (une BD et un texte pour tous)